Vivre à Paris

La foire Saint Germain

Il fut un temps où Paris ne vivait qu’au rythme de ses mouvements de foule, de ses fêtes. Pour se voir, se parler, les gens devaient bouger. La rue, c’était l’agora. On se croisait aux offices, dans les innombrables églises. On se retrouvait dans les salles de spectacles, bavardant à l’entracte ou lutinant en fond de loge.Et l’on se voyait dans les foires… Je ne parle pas des marchés (autre lieu de rencontre) mais de ces gigantesques foires qui ont scandé la vie de la cité depuis le Moyen-âge.

La plus fameuses d’entre elles, la Foire Saint Germain, s’est instaurée au XIIe siècle, aux alentours de Pâques (mais changea souvent de dates), sur les terres de l’abbaye de St Germain des prés. C’était une manifestation énorme pour la vie de l’époque, qui durait six semaines mais jouait souvent les prolongations. Close de murs, la Foire Saint Germain est à vrai dire l’aïeule des grandes expositions  universelles qui fleuriront au XIXe siècle ; elle annonce même la foire de Paris ! C’est que tout passait par la foire St Germain. Tout ce qui se faisait de neuf, de surprenant, d’excentrique aussi. On venait y exhiber (et contempler) toutes les nouveautés alimentaires, technologiques et bientôt théâtrales. Bateleurs et forains s’y installaient pour des semaines, tentant de rivaliser d’originalité. C’était aussi un lieu de débauche patentée et de joyeuse lubricité. Il y avait toujours quelque chose à découvrir, à la Foire St Germain ; on n’y perdait jamais son temps. Ainsi les spectateurs découvrent-ils, émerveillés, en mars 1749, le premier rhinocéros « monté » à Paris. S’ensuit aussitôt une mode fulgurante (et très brève) : la coiffure et la tenue  « à la rhinocéros ».

Plus important: c’est sur les tréteaux de la foire St Germain (et ceux de la foire Saint Laurent) qu’est né l’opéra-comique, une forme populaire et frondeuse de cet art lyrique qui faisait le miel des puissants et les beaux soirs de leurs palais. Ici, l’opéra devient narquois. Il se mêle au théâtre, ose les dialogues parlés (jusqu’alors exclus), créant un genre hybride dont découleront les opéras bouffe d’Offenbach et toute une généalogie de compositeurs et d’œuvres « décalés ».

Victime de son succès et de ses excès, la Foire st Germain était parfois difficile à contenir. C’est pourquoi elle brûla en 1762. Vite ressuscitée, elle vit ses bâtiments fermés en 1786. A son emplacement sera bâti entre 1813 et 1818 l’actuel Marché Saint -Germain, grâce aux architectes Londel et Lusson. Si le bâtiment n’est pas sans charmes, ses couloirs compassés et ses muets commerçants semblent bien loin des folies de leur aïeule.